Des voitures Renault fabriquées et badgées par Alfa Roméo, il y a de quoi surprendre plus d'un.
L'histoire commence au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, quand Alfa Romeo doit reconstruire entièrement ses usines de Portello à Milan et de Pomigliano d'Arco près de Naples. Le constructeur milanais avait été nationalisé en 1933 et dépendait de la holding publique italienne tentaculaire IRI. Alfa Roméo reste donc un petit constructeur italien en comparaison du géant italien FIAT. L'entreprise qui produit alors des voitures de Luxes cherche à s'agrandir en produisant des voitures populaires, mais elles ne disposent pas encore de ce savoir faire. De l'autre coté des Alpes, Renault cherche de son coté à se développer à l'international, mais les droits de douanes de l'époque sont si élevés qu'il est plus rentable de produite localement la raison c'est le traité de Rome signé en 1957 par la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg qui marque les débuts d’un Marché Commun qui, comme son nom l’indique, se voulait avant tout économique, instaurant la libre circulation des marchandises et des biens. Renault produit deja sa Dauphine en Espagne par sa filiale FASA (qui deviendra une filiale de Renault). Le scénario est alors tout fait pour le coté italien, en 1958 est donc signé un accord de coopération entre les deux marques, à plusieurs volets. Renault devient le distributeur d’Alfa Romeo en France, tandis qu’Alfa s’apprête à produire la Dauphine puis sa version plus cossue l’Ondine sur ses chaînes de Portello, près de Milan. En outre, quelques partenariats auront lieu entre les deux marques pour les véhicules utilitaires.
L'Alfa Roméo Dauphine
La production de la Dauphine débutera en 1959, en CKD. Elle se différencie peu d’un modèle basique, mais porte sur ses flancs et à l’arrière la mention « Dauphine Alfa Romeo » (ou bien « Ondine Alfa Romeo »). Quelques menues détails esthétiques sont différents du modèle français, mais pour le reste, ce sont bel et bien des jumelles.
La Dauphine devient ainsi un modèle Alfa Romeo et est nationalisée italienne afin de ne pas payer les droits de douane à l'importation. Au niveau des pièces détachées, Renault-Italia dispose de l'exclusivité de la vente des pièces de rechange. Elle se fait également à travers le réseau Alfa Romeo.
La ligne de montage de la Dauphine est installée dans l'usine Alfa Romeo de Portello, à Milan, à côté de celles des Giulietta et Alfa 1900. La ligne est inaugurée le 4 juin 1959 en présence du PDG de la Régie Renault, Pierre Dreyfus. Elle est vendue à sa sortie 890.000 Lires mais très curieusement, on trouve toujours des modèles importés de France au catalogue à 950.000 Lires chez les concessionnaires Renault alors que le constructeur français s'était interdit la vente à partir du moment où le modèle serait commercialisé par Alfa Romeo.
La Dauphine fabriquée à Milan connait un certain succès les premières années avec 6.452 exemplaires vendus en 1959 et 20.047 unités en 1960, mais inférieur aux espérances. En mai 1960 la boite à 4 rapports de la Dauphine Gordini est enfin livrée par Renault pour être montée de série sur toutes les voitures produites en Italie. La boîte de vitesses à 3 rapports représentait un sérieux handicap pour la clientèle italienne.
En octobre 1960, Alfa Romeo commence la production du modèle Ondine, version plus aboutie et luxueuse de la Dauphine dans l'espoir de satisfaire une clientèle plus nombreuse. Les dirigeants d'Alfa Romeo avaient souhaité augmenter sensiblement la puissance du moteur mais ce fut un refus de Renault qui n'en disposait pas. Pour faire face à la terrible concurrence de la Fiat 600, elle est vendue 845.000 Lires ce qui va de fait obliger la baisse du prix de la Dauphine à 795.000 Lires en décembre 1960. La carrière de l'Ondine sera très brève et se terminera en septembre 1962 après environ 2.000 voitures produites. Certains stocks d'invendus ont été exportés en France.
Le volume des ventes ne cesse de baisser à partir de 1961 avec 19.297 exemplaires Dauphine et Ondine confondues, tombe à 11.786 en 1962 et 6.347 en 1963.
Pour le millésime 1964, les freins à disque sont enfin montés de série mais malgré cela, seulement 6.447 Dauphine trouveront preneurs. La chute des ventes s'amplifie encore pour tomber à 3.120 unités en 1965 et seulement 345 en 1966. Les luttes intestines entre Renault et Alfa Romeo se rejetant mutuellement la faute sur le manque d'évolution du modèle et son moteur de trop faible puissance aboutissent à l'arrêt de la production.
En fait, dès le début les apparences étaient trompeuses, car les deux "partenaires" se méfiaient mutuellement l'un de l'autre. Le contrat bilatéral fut d'ailleurs très vite rendu caduc, car si le réseau Alfa Romeo a bien distribué la Dauphine en Italie, Renault a continué à la vendre directement dans son réseau italien et pire encore, s'est avéré incapable de commercialiser la moindre Giulietta qui ne sera jamais exposée dans ses concessions françaises.
L'aventure avec Renault se soldera donc par un échec.
Pour l’anecdote, Alfa Romeo vendit en 1965, afin de se délester des derniers stocks, 60 exemplaires de la Dauphine Alfa Romeo à l’importateur Israélien ITIS, ce qui provoqua un tollé en Israël. ITIS n’était habitilité qu’à importer des Alfa Romeo et Renault, après avoir rompu un contrat de fabrication avec Kaiser-Frazer en 1959, capitulant devant les menace de boycott du monde arabe, n’était plus en odeur de sainteté. ITIS eut beau clamer qu’il s’agissait de voitures italiennes, le ministère du commerce israélien resta inflexible et refusa à ITIS la possibilité d’importer des Dauphine Alfa Romeo.
Décidément, cette alliance Renault-Alfa Romeo ne fut jamais simple !
L'Alfa Romeo R4L
Surfant sur le succès des ventes de la Dauphine en Italie dans ses premières années. Les dirigeants d'Alfa Roméo songent à vendre la Renault 4 dans leurs concessions italiennes, les négociations avec la Régie Renault s’engagent et vont bon train. Dans cette première phase de la coopération, une sorte de gentleman agreement semble avoir été trouvé mais le décès du docteur Fascetti, en 1960, et son remplacement par Giuseppe Petrilli détruisent ce fragile équilibre. L’homme est un proche de la famille Agnelli, et il va tout faire pour défendre ses intérêts, poussant petit à petit ses pions pour contrer les velléités françaises. Le premier, et non des moindres, c’est Giuseppe Luraghi, de retour aux affaires chez Alfa après un intermède chez Lanerossi. Le 7 avril 1961, devant Pierre Dreyfus, Bernard Vernier-Pallez et Maurice Bosquet, il explique pourquoi il ne souhaite pas assembler la nouvelle Renault 4 : « Il nous est difficile de vendre une voiture qui fera concurrence à Fiat, qui risque de réduire la production italienne et de provoquer du chômage. Alfa Romeo ne pourra pas se rendre complice de cette opération en mettant son réseau à la disposition de Renault ».
La cohabitation s’apparente à une lutte d’influences. Tout est prétexte à d’interminables négociations. La Régie cède sur le lieu de production, et la R4 sera assemblée à Pomigliano d’Arco, près de Naples, pour participer à la grande opération de décentralisation industrielle souhaitée par le gouvernement et menée par la S.A.M. (Société pour le développement automobile) créée conjointement par Renault et Alfa Romeo en novembre 1961. En contrepartie, la Régie obtient de pouvoir constituer un deuxième réseau de distribution, distinct de celui de son partenaire, et dans lequel il pourra diffuser sa R4. Parallèlement, une convention entre la S.A.M. et Renault est signée le 8 février 1962, étendant l’accord de production de la R4 jusqu’en février 1972.
Tout est alors en place pour le dernier acte d’une sinistre farce. A Pomigliano d’Arco, les premières R4 commencent à tomber de chaîne. Le mot n’est pas trop fort, tant elles souffrent de défauts de fabrication. Dans un courrier daté du 4 juillet 1963, M. Siouffi, de la R.N.U.R., écrit à l’état-major d’Alfa Romeo qu’il a comptabilisé « 142 défauts contre 139 en janvier [3] ». Il déplore la « persistance de problèmes récurrents, notamment en ce qui concerne les applications de mastic, la peinture intérieure, l’étanchéité […] très nettement insuffisante sur les sept voitures testées (partie supérieure des portières, glaces de custode, pieds d’auvent, coffre à batterie, pédalier…) ». Il liste les soucis les plus criants : « Le ramponnage quasi systématique à la fermeture des portes AV droites sur la charnière supérieure ; les verrouillages de glace coulissants et de custode insuffisamment serrés ; la mise en ligne incorrecte de la direction ; l’ouverture des roues AV non conforme ; le tube de direction mal centré dans le manchon ; un soufflet de joint Weiss perforé ; l’absence de l’écrou de fixation du câble d’alimentation sur démarreur ». Il conclut son rapport de manière désabusée en comptabilisant 10,7 défauts forts par auto, contre 8,8 en janvier, dont 3,2 la rendant impropre à la vente.
La 4L n’aura pas sa place au catalogue Alfa Romeo, contrairement à la Dauphine. Devant ce constat, le Bureau de production prend son temps pour répondre. Il le fait dans la note PR/1981 du 12 octobre 1963, adressée au P.-D.G. d’Alfa Romeo, Igninio Alloisio et intitulée, avec un magnifique cynisme : « Obstacles dressés par Renault à la production des R4L ». On peut y lire, par exemple, que « la vis 10 220 808 09 fournie […] pour la fixation du pare-chocs AV (deux par voiture) n’est pas correcte puisque longue de 90 mm au lieu de 80 comme prévu. Cela gêne le montage puisque nous sommes contraints d’interposer des rondelles ». Une autre note, datée du même jour, se plaint qu’avec l’envoi « N° 57, Renault a introduit une modification de la serrure de hayon. Elle n’a pas été mentionnée, et nous ne disposons pas de l’outil spécialement prévu pour son montage. C’est pour cela que nous avons été contraints de livrer des voitures incomplètes ».
Paris accuse Pomigliano, qui accuse Paris. Et à Milan que fait-on ? On tempête parce que les cadences de production de la 4L ne respectent pas le tableau de marche, loin s’en faut. Le 29 mars 1963, l’ingénieur Sassi, responsable de l’usine napolitaine, est invité à y remédier au plus vite, sans quoi, écrit M. Casseville, « je serai contraint d’imposer un programme d’importations directes qui aurait pour conséquence la fin du montage à Pomigliano ». A vrai dire, la messe est dite, et la nouvelle taxe calculée sur la longueur des véhicules et non plus sur la cylindrée (une idée de Fiat) scelle le destin de la 4L : elle mesure 3,66 m, sa concurrente directe, la Fiat 850, 3,57 m. Neuf petits centimètres qui font toute la différence entre une petite voiture non pénalisée, et une auto moyenne surtaxée. Courant 1964, Renault stoppe donc la production de la 4L et de la Dauphine, se contentant d’écouler les stocks jusqu’en 1966. Et après une tentative infructueuse pour faire passer une partie du réseau commun Alfa-Renault dans son giron, le constructeur français se retire du marché transalpin, laissant les Italiens s’écharper entre eux et après avoir fabriqué sur place 41.809 R4, sous deux finitions : une R4 R1120 à custode tôlée, et la 4L R1123 à trois glaces latérales, toutes deux s’offrant le plus nerveux moteur 845 cm3.
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