Elle s’appellera "Ramses" ! Ainsi en décide le Raïs. Tel sera, de par la volonté présidentielle, c'est le nom de la première voiture, non seulement "made in Egypt", mais "égyptienne".
Nous sommes à la fin des années 50. Dans le sillage de la Révolution de 1952 par laquelle les Officiers libres ont renversé la monarchie, du projet de haut barrage à Assouan et de la nationalisation du canal de Suez, coup de grâce au protectorat britannique, Gamal Abdel Nasser veut faire entrer son pays dans l’ère industrielle moderne. Avec l'émergence des projets de développement économique, la demande en véhicules est importante en Égypte, notamment pour permettre à des millions d'Égyptiens de se regrouper dans des zones urbaines et de pouvoir travailler en usines ou dans des centres industriels nouvellement construits. Et tant qu’à faire, tant qu’à rouler, roulons "égyptien" ! Outre la création d’emplois qu’elle occasionnera, une industrie automobile propre sera une autre et toute logique manifestation d’indépendance et de fierté nationale.
Mais entre le rêve et la réalité, il y a bon nombre de coudées, les obstacles majeurs étant liés évidemment au manque d’expérience, et donc à un déficit de compétences techniques en la matière. Il n’en faut pas plus pour donner des idées à Raymond Flower, un ex-capitaine de l’armée britannique, originaire d’Alexandrie. Ce passionné d’automobiles pilote lui-même, sur les circuits européens, sa Phoenix 2SR6, assemblée dans une usine de montage à Alexandrie. Il frappe donc à la porte du Raïs pour lui exposer un projet de construction d’une petite voiture abordable pour le peuple égyptien : la "Frisky".
Gamal Abdel Nasser manifeste son intérêt pour la proposition, mais il demande à voir. En connaisseur, il exige notamment quelques modifications techniques… ainsi qu’un changement de nom, “Ramsès” remplaçant “Frisky” ! Et c’est ainsi que 25 voitures de démonstration, fabriquées en Grande-Bretagne, sont importées en Égypte, via le port d’Alexandrie, et qu’elles défilent place Tahrir pour les cérémonies du 23 juillet 1959 - jour anniversaire de la Révolution de 1952 - , après avoir été dûment peintes aux couleurs de l’Égypte. Et les slogans de circonstance sont de sortie : "Une voiture construite par les mains arabes pour le peuple arabe" ; "Ils pensaient que nous n’avions que des chameaux, alors que désormais, nous fabriquons nos propres voitures !"

Annonce de voiture Ramses Saloon de 1954

Un terrain est affecté en 1959, rue des pyramides au Caire, pour l’implantation de la future usine et les gestionnaires de la nouvelle société Egypt Light Transportation Manufacturing Company partent faire leur marché pour le lancement d’une chaîne de production d’un millier de voitures. Direction la Grande-Bretagne tout d’abord, sur les indications de Raymond Flower. L’accueil reçu est "poli", mais le gouvernement britannique voit d’un mauvais oeil l’implantation, en terre égyptienne, d’une industrie concurrente. La délégation n’a rien d’autre à faire que de prendre le premier avion pour Stuttgart où la société Neckarsulm Strickmaschinen Union (NSU) fait immédiatement part de son empressement. Raymond Flower se voit contraint de se retirer sur ses terres anglaises pour développer sa "Frisky" à trois roues, tandis que la "Ramsès" égyptienne prendra naissance selon le concept Prinz pour la motorisation (moteur à l’arrière), et avec l’apport technique de Carrozeria Bertone SpA pour la carrosserie, le reste (sièges, habillage, tapis de sol…) étant de fabrication locale. Ainsi, au lieu d’être une "Frisky", la "Ramsè" est devenue une Prinz NSU déguisée !
En 1959, la "première voiture arabe" voit donc le jour et est assemblée à la main, sur la base de la NSU Prinz 30, au rythme de 5 à 6 véhicules par jour. Le premier modèle est la "Ramsès Utilica" avec une carrosserie "angulaire", un moteur à deux cylindres, un système de refroidissement à air, une cylindrée de 598 cc, une puissance de 22 kW et une vitesse de pointe de 116 km/h. Jusqu’en 1963, 1130 unités de ce modèle seront construites.
Lui succéderont la "Ramsès II", de 1963 à 1966, une limousine proche de la NSU Prinz IV (1700 unités), le coupé "Ramsès Gamila", dont la carrosserie est conçue par l’Italien Alfredo Vignale (très peu d’exemplaires), la "Ramsès II" (1700 unités), la "Ramsès III", fabriquée en "auto-développement", seuls les moteurs et les pièces de carrosserie provenant encore des deux sociétés européennes (bilan : un fiasco économique pour ce modèle), la "Ramsès IV", une berline tricorps à quatre portes de la catégorie moyenne supérieure, qui en est restée au stade du prototype.

En 1967, arrive ce qui semblait inéluctable dans un contexte de concurrence internationale et de suppression des subventions de la part de l’État égyptien : la production de la “Ramsès” est interrompue. Prend place alors une synergie assez complexe, pour la production de motos et véhicules utilitaires, entre la Watania Automotive Manufacturing Company (WAMCO), qui succède à l’Egypt Light Transportation Manufacturing Company, et le constructeur El-Nasr dont l’objectif commercial est de trouver une aide auprès de constructeurs étrangers et de construire des véhicules sous licence, bien adaptés au marché égyptien : modèles issus des Fiat fabriquées sous licence en Pologne par Fabryka Samochodów Osobowych (F.S.O.) et en Yougoslavie par Zastava.
Pour des raisons de conditions de production et de non-fiabilité des véhicules, la "Ramsès" disparaît donc de la scène égyptienne. Née d’un rêve nationaliste nourri par les bâtisseurs de l’Égypte moderne, elle ne fut malheureusement jamais à la hauteur des attentes ou des ambitions qu’elle pouvait inspirer.
"It was a lovely dream. Unfortunately, it came to an end."
Avec leur humour légendaire, les Égyptiens avaient une répartie quand ils voyaient une "Ramses" succombant à la fâcheuse habitude de tomber en panne. S’adressant au conducteur, ils l’apostrophaient en ces termes : "Fais-lui respirer un oignon, ça la réveillera peut-être !" Malheureusement, le non moins célèbre oignon d’Égypte a sans doute lui aussi ses limites !
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