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Hongrie : l'histoire de la production de microcar

Après la prise de contrôle par l’URSS dans les années 40 des « Etats satellites », les Russes avaient mis en place le Comecon, le Conseil d’Assistance Economique Mutuelle, afin de coordonner les relations économiques à travers le bloc soviétique. Conformément aux principes de la planification socialiste, chaque pays était obligé de fabriquer certains produits, mais pas d’autres. La Tchécoslovaquie, la Pologne et la Roumanie étaient autorisées à produire des voitures, mais pas la Hongrie probablement parce qu’elle n’avait pas avant d’industrie automobile. Mais un véhicule national, tout comme une compagnie aérienne nationale, était un symbole de fierté patriotique, surtout en Europe de l’Est. Les Communistes hongrois ont donc rapidement été déterminés à ce que leur pays ait leur propre voiture. En conséquence ils ont cherché et trouvé une solution hongroise. Ils ont mis en place un moyen de contourner les règles du Comecon en utilisant une spécialité connue sous le nom de « kiskapu » ou « petite porte ». Quand une porte se ferme, le « kispaku » finit par ouvrir cette porte avec une enveloppe de billets de banque.



En réponse à l’interdiction de produire des voitures en Hongrie, les leaders communistes hongrois décidèrent de fabriquer un véhicule fermé avec un volant et un moteur à essence pouvant transporter des gens en sécurité, mais qui ne pourrait pas être qualifié de voiture car trop petit : une microcar ! Et comme la microcar hongroise n’était pas vraiment une voiture, elle pourrait être fabriquée à la fois grâce au « kispaku » et la lourdeur de la bureaucratie communiste. L'idée a rencontré un certain succès.


Micro-voiture hongroise fabriquée en 1968 par Rezső Denk à l’Institut de recherche électrique de Budapest.

La microcar est la dernière d’une longue lignée d’inventions hongroises qui ont façonné le monde moderne, y compris le stylo à bille de Laszlo Biro, le central téléphonique ou l’holographie. Des scientifiques hongrois tels que Edward Teller et John von Neumann ont également joué un rôle crucial dans le développement de l’informatique et des armes atomiques. Cette capacité d’innovation pourrait bien être enracinée dans la complexité de la langue hongroise. Dire quelque chose en hongrois demande une série de calculs mentaux instantanés avant que de pouvoir construire une phrase au sens clair. Une vieille blague raconte qu'un Hongrois est quelqu’un qui rentre derrière vous dans un tourniquet et qui ressort devant. Cette compétence innée à rechercher des solutions à des problèmes complexes et un talent pour la pensée rapide et parallèle se sont révélés cruciaux pour le peuple Magyar durant des siècles de domination étrangère et particulièrement utile sous le communisme.


Malgré les ordres de Moscou, la Hongrie était un candidat naturel à la production d’automobiles. L’énorme aciérie Manfred Weiss située sur l’île Csepel est l’une des entreprises industrielles les plus grandes de la région de Budapest et la Hongrie exportait déjà des autobus Ikarus et des camions Csepel dans toute l’Europe de l’Est. Durant la guerre, cette aciérie produisait principalement des armes et des munitions et après sa réquisition par les Nazis en 1944 elle avait continué à le faire. Après la guerre, Janos Pentelnyi, l’un des ingénieurs de l’usine avait dessiné une petite voiture inspirée par la VW Coccinelle allemande. Le rationnement et les pénuries avaient imposé à l’inventeur de celle qui portait le nom de « Pente » d’être une voiture légère, peu coûteuse, fiable et facile à fabriquer. Motorisée par un moteur 2 temps 500cm3, la Pente mesurait 3 mètres de long et 1,3 mètres de haut. Pentelnyi avançait le fait que son moteur était deux fois moins cher que le 4 cylindres 4 temps de la Fiat Topolino, sa rivale. Convaincue, l’usine approuva les plans de production en 1946. En décembre, le premier modèle était sur la route et atteignait confortablement la vitesse maximale de 60km/h. Enthousiaste, Pentelnyi construit une version plus grande à 600cm3, qui sera testée avec succès. L’aciérie dressera les plans pour produire en série les deux voitures.


Mais le projet tombe à l’eau. Après l’arrivée des communistes en 1948, l’aciérie Manfred Weiss est nationalisée et rebaptisée du nom de Matyas Rakosi, le leader stalinien hongrois. L’ordre tombe de Moscou : plus de voitures. Les travaux de Pentelnyi sont mis à la poubelle et l’usine condamnée à produire des motos et de rudimentaires camions Csepel. La seule Pente 600 survivante est maintenant exposée au Musée des Transports de Budapest. La Pente de Pentelnyi n'est jamais entrée en production, mais ses prototypes auront servi de modèles aux projets suivants.

Les années d’austérité et de pénurie de l’après-guerre ont constitué l’âge d’or de la microcar en Europe. L’Italie a eu ses populaires Iso Isetta, quand en Allemagne Messerschmitt, l'avionneur interdit de produire des avions de chasse, fabriquait le Kabineroller qui sans surprise ressemblait à un cockpit d’avion de chasse monté sur trois roues. La Pologne avait le Smyk, une microcar à 4 roues avec une portière frontale et la Tchécoslovaquie produisait le Velorex à trois roues.


Pente 500

A Budapest, le gouvernement avait établi le cahier des charges de la microcar hongroise : elle devrait être un véhicule fermé, à quatre roues, propulsé par un moteur de moto, capable de transporter deux adultes, deux enfants et quelques bagages. En 1955, le Ministre hongrois de la Métallurgie et de l’Industrie Mécanique a chargé une équipe d’ingénieurs, incluant Erno Rubik le père de l’inventeur du fameux cube coloré, de se mettre au travail dans la ville de Szekesfehervar, à l’ouest de Budapest, dans une usine qui réparait auparavant des avions. Ils se procurèrent une Isetta, ainsi qu’un Messerschmitt Kabineroller. Rubik et son équipe se mirent rapidement sur leurs planches à dessin en faisant appel à leur propre imagination et à des idées prélevées sur les microcars italiennes et allemandes. Le résultat de leurs réflexions portaient les noms de Alba Regia, c’est ainsi que s’appelait Szekesfehervar à l’époque romaine, et de Balaton, comme le lac du même nom. Les deux voitures étaient entraînées par des moteurs de motos Pannonia 250cm3 et avait des carrosseries en aluminium avec des roues d’avion. Les portes de l’Alba Regia s’ouvraient de manière conventionnelle, quand le toit de la Balaton glissait vers l’arrière comme sur un avion de tourisme pour permettre au conducteur et aux passagers de grimper à bord. Leur moteur était situé à l’arrière et elles disposaient d’une marche arrière. Pour reculer, le chauffeur devait arrêter le moteur et tirer une manette avant de relancer le moteur.


De nombreux admirateurs de la voiture naine d’István Karika à la Foire industrielle de Budapest dans le parc de la ville - 1954

Ces deux microcars ont remporté un vif succès et ont été présentées au public lors du défilé du Premier Mai de Szekesfehervar en 1956, accompagnées d'une Isetta et une Uttoro (Pionner) fabriquée dans la ville de Debrecen. Elles furent regardées avec un mélange de fierté et de nostalgie. Fierté de voir que la Hongrie avait une fois de plus contourné les restrictions imposées de l’extérieur pour fabriquer des voitures et désir d’en posséder une. Car en Hongrie, la propriété privée d’une voiture était un privilège rare car elles étaient habituellement réservées aux dirigeants du parti et aux fonctionnaires. Si la Hongrie pouvait produire elle-même sa voiture économique, alors peut-être qu’on pourrait être autorisé à en acheter une.


Prototypes Balaton et Alba Regia

L’Uttoro, parrainée par le Ministère de l’Industrie légère - et inconnue du Ministère de l’Industrie lourde – est l’une des nombreuses microcars construite par des inventeurs privés. Janos Schadek, un ingénieur vivant à Debrecen avait construit sa première voiture dans les années 20. Dans les années 50, il travaillait comme ingénieur en chef dans une usine nationalisée de serrurerie. Il a conçu l’Uttoro avec deux collègues, qui avaient auparavant réparé et construit des moteurs d’avion. Elle était mue par un moteur 250cm3 de moto Csepel avec un démarrage au kick placé sur l’essieu arrière. Ses roues provenaient d’une brouette mais la voiture pouvait quand même atteindre les 80 km/h !

Endre Suranyi, un ancien pilote de moto, a construit sa première microcar en 1946. Avec un moteur 50 cm3 et un châssis étroit où deux personnes s’installaient à peine, elle devint rapidement connue sur le nom de « chaussure à moteur ». Malgré son aspect fragile, elle marchait bien et Suranyi en a fait une version plus puissante, avec un moteur 125 cm3. Il était même prévu de faire un modèle 250 cm3, mais il n’y eu pas de suite. A Vac, Kalman Szabadi suivait avec excitation toutes les informations qui tombaient sur la Balaton, l’Alba Regia et les autres microcars hongroises. Il travaillait dur sur son propre prototype.


La minicar Sigma de l’entreprise de réparation automobile Trans-Tisza

Enthousiasmé par les résultats rencontrés et par la perspective d’être en mesure de fabriquer une voiture en Hongrie, ce qui reviendrait à contourner les restrictions du Comecon, satisfaire les aspirations patriotiques et fournir une voiture à une population demandeuse, le Ministère de l’Industrie légère commissionna l’Institut de Recherche sur le Transport Automobile pour analyser la production automobile occidentale et du bloc soviétique. La voiture que préférait l’Institut était la Goggomobil ouest-allemande, dont le moteur 250cm3 développait l’impressionnante puissance de 14ch mais ses origines capitalistes constituaient une difficulté. Le génie socialiste devait l’emporter. Si l’on pouvait prouver que la Hongrie a l’expertise pour produire une voiture populaire, fiable et bon marché, qu’elle entre ou pas dans la catégorie automobile, le Comecon accepterait peut-être à coup de « kiskapu » qu’elle soit fabriquée !


Goggomobil

La meilleure façon d’avancer, avait décidé le ministre, était d’organiser un concours. L’appel d’offre fut donc annoncé à l’été 1956. Mais, comme cela a été trop souvent le cas en Europe de l’Est, le vent de l’Histoire a soufflé et l’insurrection d’Octobre a jeté le pays dans le chaos. L’année suivante, le ministère a déclaré qu’il n’y avait pas de gagnant et le projet tout entier fut abandonné.

Malgré tout, dans les arrière-cours et les garages, les ingénieurs et les inventeurs hongrois n’ont pas abandonné leur quête pour la réalisation de la microcar hongroise parfaite. Kalman Szabadi se dit que si Rubik et Schadek avait réussi, alors il pouvait aussi le faire. En 1956 il se procura un moteur Isetta 300cm3 et commença à travailler au chantier naval de Vac. Quatre ans plus tard il dévoila la Fesztival. Il s’agissait d’une voiture de 3,15m de long, 1,15m de haut pesant 380kg ayant une vitesse de pointe d’environ 60km/h. Construite avec des pièces de motos et une carrosserie en plumes de poulet, sang de porc et vernis, la Fesztival puait, mais elle roulait ! Malheureusement, la merveilleuse voiture de Kalman Szabadi est restée unique. Quelques années plus tard, la carrosserie a été remplacée et après un accident les restes de la voiture ont été détruits. Sans se décourager Kalman Szabadi s’est mis à dessiner des embarcations et des bateaux-taxis.



Les microcars hongroises sont une goutte d’eau dans l’histoire de l’automobile mais elles étaient bien plus que la fantaisie de quelques génies. Les principes qu’elles préconisaient - économie de conception, facilité de production et simplicité - restent toujours d’actualité. Actuellement, la moitié de la population mondiale vit dans des villes et le chiffre devrait augmenter à 60% d’ici 2030. Même si les réseaux de transports se développent, nombreux sont ceux qui voudront toujours rouler dans leur propre voiture. Ceci est particulièrement vrai avec la croissance rapide de nouvelles classes moyennes en Inde et en Chine.


Les microcars, avec leurs faibles émissions polluantes, leur coût d’utilisation moins élevés et leur faible encombrement sont une réponse évidente.

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